Difficultés des entreprises : " c'est maintenant que les dirigeants devraient se tourner vers la prévention
23.03.2021
Gestion d'entreprise

Les procédures judiciaires de prévention, trouvent dans 75 % des cas, une issue positive. Pourtant, elles sont méconnues. Dans le climat actuel, Georges Richelme, ancien président de la Conférence générale des juges consulaires, auteur du rapport remis à Éric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, sur le sujet au mois de février, propose qu'une vaste campagne de communication aborde les bienfaits de la prévention.
Le 19 février, la mission présidée par Georges Richelme - qui a été à la tête du tribunal de commerce de Marseille de 2012 à 2016 - remettait son rapport au garde des Sceaux. Nous l'avons interrogé sur ses principales conclusions.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Quel est le bilan de la prévention à ce jour ?
La prévention fonctionne bien dans les tribunaux de commerce avec un taux de succès de l’ordre de 75 %. Il existe 134 tribunaux de commerce en France métropolitaine, 7 chambres commerciales de tribunaux judiciaires en Alsace Moselle et 7 tribunaux mixtes Outre-Mer. Selon les statistiques, dans seulement une vingtaine de tribunaux le bilan de la prévention (qui se matérialise par un entretien auprès du tribunal et/ou l’ouverture de procédures amiables, c’est-à-dire un mandat ad hoc ou une conciliation) est très faible. Nous formulons donc la proposition d’instituer officiellement une cellule de prévention dans chaque tribunal (dans la plupart cela existe déjà).
La prévention, au sens du livre VI du code de commerce, fait partie de la « juridiction présidentielle » : cette partie de l’activité judiciaire dépend directement du président. Elle peut être déléguée à ces cellules qui regroupent des juges identifiés. Ainsi, le chef d’entreprise sait à qui il doit s’adresser et on évite qu’il bloque sa démarche en ayant peur de se retrouver face à un président de tribunal. Psychologiquement ce n’est pas toujours évident…
Nous pensons aussi qu’il faudrait installer des juges honoraires - qui ne sont donc plus tenus par le statut du juge empêchant de délivrer des conseils à un chef d’entreprise en difficultés - au sein des maisons du droit, des maisons « France services », etc., pour orienter celui qui ne voudrait pas forcément se rendre directement au tribunal. C’est un sujet car c’est au sein du même lieu que l’on peut sortir de ses difficultés, via la prévention, tout comme voir son activité liquidée…
Quels sont les avantages d’un mandat ad hoc et d’une conciliation ?
Ce sont des procédures auxquelles il faut faire appel dès que l’on sent venir une difficulté qui n’est pas insurmontable (il ne faut pas être en cessation des paiements). Les procédures préventives permettent d’être sous la protection du tribunal et d’être assisté par un tiers (le mandataire ad hoc ou le conciliateur) dans le cadre d’une procédure confidentielle à la main du dirigeant. Il peut ouvrir la procédure, choisir le mandataire qui l’accompagne et l’arrêter quand il le souhaite. L’avantage c’est d’obtenir un accompagnement pour renégocier avec ses principaux créanciers. Ainsi l’entreprise qui a des problèmes fiscaux et sociaux, mais n’en a pas avec ses fournisseurs, par exemple, verra seulement ses créanciers fiscaux et sociaux contactés dans le cadre de la procédure amiable. Les fournisseurs ne seront donc pas informés. À l’inverse, on peut également se tourner vers une procédure amiable quand on a une difficulté avec un seul de ses fournisseurs. Ce sont donc des procédures qui permettent de cibler les créanciers concernés par le problème propre à l’entreprise.
Dans les deux cas, des honoraires sont dus au mandataire judiciaire. La négociation se fait entre l’entreprise et le mandataire choisi sous contrôle du président du tribunal de commerce.
En 2020, en pleine crise sanitaire, les procédures préventives sont en baisse de 40 %. Comment l’expliquer ?
Depuis le début de la crise, 135 milliards d’euros ont été décaissés au bénéfice des entreprises ayant eu accès au prêt garanti par l’état (PGE). Sans compter le chômage partiel, le fonds de solidarité, etc. On a perfusé les entreprises qui sont en hibernation. Or, pour certaines, c’est maintenant que les dirigeants devraient se tourner vers la prévention afin d’anticiper les difficultés à venir. Certaines activités ne tiendraient pas le coup sans les aides de l’état et sont condamnées à disparaître quoiqu’il arrive. Il y a de l’attentisme. Certains acteurs économiques espèrent peut-être qu’il y aura de nouvelles aides… Ce n’est pas la bonne démarche. Après la crise, la reprise ne sera pas au rendez-vous dans tous les secteurs…
Il y a aussi un défaut de connaissance de ces procédures.
Vous préconisez de mettre en place un site sur la prévention et de lancer une vaste campagne de communication. Pouvez-vous nous donner davantage de détails ?
À l’heure actuelle, il existe une vingtaine de dispositifs institutionnels de prévention et de détection des entreprises en difficultés. Ce n’est pas lisible, souvent proposé dans un langage d’experts, et cela fonctionne en silo. L’administration fiscale, par exemple, peut faire des propositions à une entreprise en difficultés. Le but du dispositif proposé est uniquement de régler le problème fiscal. Or, il est rare qu’une entreprise ait une seule difficulté. S’il y a un impayé en matière de TVA, bien souvent c’est aussi le cas en matière d’Urssaf et parfois les délais de paiement vis-à-vis des fournisseurs s’étalent du fait d’un manque de trésorerie. Aucun dispositif, hormis les procédures judiciaires de prévention, ne vous permet de traiter l’ensemble des difficultés avec tous les créanciers de l’entreprise.
D’autres dispositifs, ne visent le renvoi au tribunal que si la situation de la société est déjà dégradée. Or, il faudrait en réalité y aller presque au moment où l’on consulte les chambres de commerce pour obtenir une information ou lorsque l’on utilise un outil d’autodiagnostic (comme celui proposé par Infogreffe par exemple).
La plateforme que l’on appelle de nos vœux devrait pouvoir dispenser une information cohérente et synthétiser la façon de traiter les difficultés des entreprises. Elle pourrait renvoyer, grâce à une arborescence, sur l’ensemble des dispositifs. L’architecture informatique devrait amener l’entrepreneur vers le ou les liens les plus utiles à ses difficultés. Nous pensons que travail doit être mené à un niveau interministériel.
Cet outil n’aura toutefois d’utilité que s’il est connu : il faudra donc qu’une vaste campagne d’information soit menée en parallèle.
Vous proposez que les partenaires financiers informent l’entreprise sur l’existence de dispositifs de prévention lorsqu’ils constatent une première difficulté. Pouvez-vous nous expliquer ce point ?
Un des problèmes de la prévention c’est donc l’information. Est-ce que le dirigeant se rend compte suffisamment tôt qu’il a des problèmes ? Nous proposons tout d’abord que les créanciers institutionnels (fisc, Urssaf, etc.) lorsqu’ils constatent un premier impayé incluent une information sur la prévention dans leurs courriers de relance. Il pourrait en être de même pour les partenaires financiers, comme les banques par exemple, lorsqu’elles procèdent à une dénonciation de concours. Elles sont, dans ce cas, tenues d’adresser à l’entreprise un courrier pour signifier la démarche et indiquer que le destinataire peut recourir à la médiation du crédit. Nous demandons à ce que soit rajouté un paragraphe sur les procédures de prévention.
Le droit des entreprises en difficultés a été adapté du fait de la crise de la Covid par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020. Quelles sont les dispositions de ce texte qu’il conviendrait de pérenniser selon vous ?
Il y en a une essentielle : pendant le temps de la conciliation, l’exécution des poursuites du créancier contre le débiteur est suspendue. Il peut y avoir un contentieux, mais si le créancier le gagne, il ne peut pas le faire exécuter. Nous pensons qu’en maintenant ce point, la conciliation sera valorisée.
Propos recueillis par
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.